La planification à long terme inclusive et nationale : un moyen d'atteindre les objectifs en matière de climat et de développement pour les pays africains
Des transformations rapides et profondes sont nécessaires pour atteindre les objectifs de développement et de lutte contre le changement climatique. Cela est particulièrement vrai en Afrique, où de nombreux pays sont parmi les plus vulnérables au changement climatique et où les émissions régionales de gaz à effet de serre risquent d'augmenter considérablement dans le cadre des politiques actuelles (tout en restant marginales à l'échelle mondiale), tout en étant confrontés à des défis urgents en matière de développement, notamment la garantie d'un accès universel à l'électricité. Actuellement, 43 % de la population n'a pas accès à l'électricité.
Pour guider ces transformations, les pays africains ont besoin d'une vision concrète de leur développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient au changement climatique, qui reflète leur situation nationale. Cette vision est essentielle pour assurer la cohérence des politiques nationales entre les différents objectifs et pour communiquer clairement les priorités nationales de développement à la coopération internationale sur le climat et le développement, y compris la coopération financière (voir comment notre travail sur une vision au Sénégal a alimenté le récent JETP sénégalais, pour un exemple).
L'élaboration d'une telle vision nationale présente de nombreux défis pour la plupart des pays africains, liés notamment à un faible intérêt politique pour la planification climatique à long terme dans un contexte de priorités de développement à court terme et à la capacité technique limitée nécessaire pour développer l'analyse sous-jacente qui alimente le processus. Sur la base des travaux menés dans le cadre de l'initiative internationale Deep Decarbonisation Pathways de l'IDDRI au Sénégal et au Nigéria - dirigée respectivement par ENDA Energie et le Centre for Climate Change and Development - nous démontrons que les processus fournissant ces visions et trajectoires nationales à long terme peuvent être mis en œuvre dans les pays africains en dépit des difficultés rencontrées. Nous identifions cinq leçons clés pour guider d'autres pays lors de la conception d'un processus d'élaboration d'une stratégie nationale sur le climat et le développement.
Premièrement, le processus doit bénéficier du soutien actif et de l'implication du gouvernement. Un tel mandat a été officiellement donné par le département du changement climatique au Nigeria et par les ministères du pétrole et de l'énergie et de l'environnement (conjointement) au Sénégal, et des représentants de ces ministères président le comité stratégique qui pilote les projets respectifs. Cela garantit que les processus sont bien ancrés dans la politique nationale considérée comme pertinente pour éclairer les décisions, mais aussi qu'ils sont perçus comme légitimes par d'autres acteurs, ce qui facilite l'engagement d'un large éventail de parties prenantes, y compris le département de planification de la politique économique nationale.
Deuxièmement, et en lien avec le point précédent, le processus doit être pris en charge par le pays et inclusif au niveau national. Le projet au Sénégal a mené son analyse par le biais d'un dialogue technique et approfondi impliquant environ 50 parties prenantes nationales représentant le gouvernement, le monde universitaire, la société civile et le secteur privé. Au Nigeria, les parties prenantes et les experts ont été associés à différentes étapes du processus dans le cadre de réunions techniques et de consultations plus larges afin de recueillir des commentaires et de garantir l'appropriation par une diversité d'acteurs.
Troisièmement, l'analyse doit tenir compte des priorités nationales en matière de développement. Au Sénégal, cela signifiait analyser explicitement si et comment l'augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix électrique aurait un impact sur l'impératif national d'accès universel à l'énergie ; l'analyse montre l'importance des mesures axées sur la demande pour aborder cette question de manière cohérente dans tous les secteurs économiques concernés (industrie, agriculture, infrastructure, etc.). Au Nigeria, une question cruciale concerne les effets macroéconomiques de la production de combustibles fossiles, étant donné la forte dépendance du pays à l'égard des combustibles fossiles pour son PIB et ses exportations. L'analyse montre qu'un changement structurel de l'économie nationale est nécessaire pour assurer la stabilité macroéconomique dans le cadre de la transition vers une économie à faibles émissions.
Quatrièmement, il est nécessaire de mettre en place une capacité d'analyse nationale capable de contribuer durablement à la résolution des problèmes de développement et de climat au niveau national. Cela permet de s'assurer que les analyses sont conduites par le pays et peuvent être menées au-delà des contours d'un projet donné, en reconnaissant la nécessité d'une continuité dans les processus. Au Sénégal et au Nigeria, cette démarche a pris la forme de formations à la modélisation des outils de modélisation énergétique et macroéconomique (LEAP et IMACLIM) et de l'engagement d'experts internationaux accompagnant le travail des modélisateurs nationaux.
Cinquièmement, l'analyse sous-jacente et le scénario à long terme doivent être détaillés au niveau sectoriel afin d'être utiles à l'élaboration des politiques sectorielles. Au Sénégal, les parties prenantes impliquées dans le projet ont été organisées en cinq groupes thématiques, quatre ayant une orientation sectorielle (énergie, industrie, infrastructure/urbain, agriculture) et un se concentrant plus largement sur le développement durable avec pour rôle d'intégrer les visions sectorielles dans une vision globale. Au Nigeria, l'analyse comprend une analyse détaillée des secteurs clés, menée par des experts spécialisés (pétrole et gaz, électricité, secteur résidentiel, industrie, transport, AFOLU).
La conception d'une vision et d'une stratégie à long terme pour le Nigéria et l'accord JET-P signé par le Sénégal en juin 2023, tous deux éclairés par les projets nationaux décrits ci-dessus, démontrent les avantages nationaux de ces processus. Il s'agit notamment d'éclairer les décisions nationales et les politiques qui répondent à la fois aux objectifs climatiques et de développement, et de définir des priorités d'investissement claires qui peuvent être mises à profit dans les discussions internationales sur le financement international. En tant que co-bénéfice, les gouvernements peuvent également utiliser ces processus pour rédiger une stratégie de développement à faibles émissions à long terme, comme l'encourage l'Accord de Paris (jusqu'à présent, seuls 6 pays africains ont remis leur SDLCE à la CCNUCC). L'élaboration d'une LT-LEDS envoie un signal important aux autres pays et acteurs des plans nationaux pour qu'ils se joignent aux efforts internationaux visant à atteindre les objectifs d'atténuation mondiaux, et pourrait faciliter une discussion avec les acteurs internationaux sur les conditions nécessaires pour suivre la vision de l'atténuation des GES exposée dans la LT-LEDS.