« Utiliser les recettes de l’extérieur pour développer des technologies sobres en carbone » Emmanuel SECK, Directeur exécutif d’ENDA ENERGIE
Directeur exécutif d’ENDA ENERGIE, Emmanuel SECK était dans la délégation qui a représenté le Sénégal à la dernière conférence des parties sur les changements climatiques (COP28) qui s’est déroulé à Dubaï du 30 novembre au 13 décembre 2023. En tant que membre du board du Climat Action Network International (CAN International), il a eu à s’impliquer dans des négociations sur des questions d’adaptation et de finance climatique et à appuyer le Groupe des négociateurs des pays les moins avancés (PMA) sur la question des pertes et dommages, entre-autres.
Dans cet entretien, l’expert en environnement analyse les décisions prises à l’issue de la COP28 et les perspectives, notamment pour le Sénégal, à l’aube de l’exploitation de son pétrole et de son gaz.
« Vous avez pris part à la COP28 sur le climat. Comment appréciez-vous l’accord qui a été obtenu, à l’issue de ces négociations ? »
Nous sommes très ravis d’avoir participé à cette édition de la COP que l’on peut considérer comme historique sur deux aspects. A l’entame déjà, nous avons obtenu la mise en place du fonds sur les pertes et dommages, que je considère comme un acquis majeur. L’autre avancée porte sur le début de la sortie progressive des énergies fossiles. C’est-à-dire arrive à une transition, une question qui n’était pas suffisamment abordée à la COP précédente. Cela nous rassure sur le fait que les pays doivent s’engager dans une dynamique de réduction de ces émissions de gaz à effet de serre. On aurait voulu que ce soit des engagements beaucoup plus forts. Mais comme nous sommes dans un processus dynamique, nous allons accentuer le plaidoyer dans ce sens et contribuer aussi à la définition des différentes stratégies développées dans les pays dont les CDN et les stratégies long terme (LTS) de développement sobre en carbone et résilient au changement climatique.
« Quels seront les critères d’accès au fonds destinés à réparer les pertes et dommages ? »
Les critères ne sont pas encore définis, mais a devrait normalement profiter aux pays les plus vulnérables. Toutefois, il faudra avoir une bonne estimation des coûts, identifier les besoins et priorités de développement, disposer des données fiables et évaluer l’ampleur des impacts des désastres climatiques. Pour cette 28e session, il s’agissait surtout d’acter le fonds des pertes et dommages qui sera le troisième mécanisme destiné au financement dans le processus de la convention sur le climat. Ceci après le fond d’adaptation et le fond vert pour le climat. Il reviendra au secrétariat et particulièrement au conseil d’administration de définir les modalités, les procédures et les critères. Ce qui permettra de mieux indiquer ou préciser les pays qui pourront en bénéficier. Ce qu’il faut déjà saluer c’est, c’est la bonne représentativité des pays en développement dans le conseil d’administration. Sur les 26 membres, nous en avons 14 issus des pays en développement et parmi lesquels le groupe africain et le groupe des pays les moins avancés dont le Sénégal est membre.
« Concernant la transition pour sortir des énergies fossiles, quel pourrait être l’impact pour le Sénégal qui attend beaucoup de son pétrole qui est en train d’être exploité ? »
Pour nous, la transition c’est un processus qui peut présenter des opportunités pour le Sénégal. C’est-à-dire emprunter une trajectoire sobre en carbone. On peut utiliser le gaz et le pétrole dont nous disposons pour nous inscrire dans cette dynamique. C’est-à-dire utiliser une partie de l’argent généré par l’exploitation de ces ressources naturelles essentiellement fossiles pour développer des technologies sobres en carbone. Il s’agit par exemple de mettre en place des centrales solaires dans des zones reculées du pays et également accroître les services énergétiques. Pourquoi ne pas mettre en un fonds de promotion des énergies renouvelables avec les bénéfices issus de l’exploitation du gaz et du pétrole ? Concernant les services énergétiques, c’est de faire en sorte que sur certaines chaînes de valeur comme le lait, qui est abondamment produit au Sénégal, principalement durant la saison des pluies qu’on puisse mettre en place des unités de stockage et de traitement du lait. Ça nous permettra de transformer ce lait en yaourt ou en fromage comme ENDA ENERGIE est en train de faire au niveau de Kolda, Saint-Louis er du centre du pays vers Fatick. je pense qu’il y a des possibilités d’utiliser ces technologies pour alimenter les populations en énergie dans les zones qui ne sont pas desservies par le réseau classique.
Cette énergie propre va servir dans les besoins primaires, la santé, l’éducation et la valorisation des chaînes de valeur. C’est à nous de voir la meilleure trajectoire à prendre parce que nous somme inscrits dans une volonté de transition, mais cela ne doit pas être une entrave à notre ambition de développement.
« Il y a certains pays en développement et organisations de la société civile qui ont déploré un manque d’ambition de l’accord de Dubaï. Est-ce votre avis ? »
Nous sommes en diplomatie environnementale, il y a des choses qu’on n’impose pas à certains États développés. On négocie pour avoir le meilleur compromis possible. La société civile a fait un plaidoyer fort pour la sortie immédiate du fossile, mais ce n’est pas ce que les États ont acté.
Il y a des intérêts qui sont économiquement égoïstes mais qui ne se disent pas. On aurait souhaité plus et mieux, mais c’est ce que la COP nous a donné. Il faudra faire davantage de d’efforts au niveau au niveau national. Il y a des signaux qui montrent qu’il faut emprunter d’autres voies de développement parce que nous avons besoin d’alternatives à la déplétion des ressources fossiles. Et je pense que c’est ce qui convient d’apprendre de ce processus qui est dynamique et non statique. Je disais, à la sortie de la COP de Cppenhague que, malgré le manque d’accord à cette conférence, l’opinion publique était devenue plus sensible et consciente des risques que pourrait affronter l’humanité face au changement climatique. Maintenant, comment la question climatique est dans l’agenda politique internationale et se reflète dans nos politiques et dans notre quotidien ? et il ne s’agit pas seulement d’engager les États parce que nous sommes tous concernés en tant que citoyens du monde par la question du climat. Surtout de notre façon d’être à travers la production et la consommation e l’énergie.
A chaque étape de la COP, il y a des indications qui nous montrent comment nous devons fonctionner dans le monde et quelle trajectoire nous devrons prendre à l’avenir.
« Est-ce qu’il n’est pas temps de contraindre les pays pollueurs à prendre leur responsabilité ? »`
Il y a une différence par rapport aux responsabilités. Les pays développés ont une responsabilité historique qui les oblige à appuyer les pays en développement pour faire face aux effets du changement climatique. C’est la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques qui est la matrice principale de tout ce dispositif climatique. Et il y est mentionné que les pays développés doivent appuyer les pays vulnérables afin qu’ils puissent s’adapter aux changements climatiques. C’est pour cela ils se sont engagés lors de cette COP28 à hauteur de plus de 700 millions de dollars quand on a mis en place le fonds sur les pertes et dommages. Pour nos pays, c’est de faire en sorte que, par rapport aux mesures d’adaptation qu’on puisse renforcer la résilience de nos populations. Mais aussi qu’on s’inscrive, dans les années à venir, dans une voie de sobriété carbone. Nous avons un potentiel de pétrole et gaz, mais également d’énergie renouvelable. C’est de voir comment jouer sur les leviers de ce potentiel fossile pour exploiter et renforcer notre potentiel en énergie renouvelable. Dans ce cadre, le Sénégal ambitionne de porter à 40% la part des énergies renouvelables dans notre mix énergétique d’ici 2030.
Par ailleurs, en tant qu’institution non gouvernementale, ENDA ENERGIE a pu accompagner le pays dans l’élaboration d’une vision à long terme. L’objectif c’est d’avoir, « en 2050, un Sénégal prospère à travers une économie intégrée, sobre en carbone, résiliente et inclusive ». je pense que ce point est fondamental à souligner parce qu’on fait appel à l’expertise nationale.
Nous avons aussi été impliqués sur l’évaluation des pertes er dommages et de besoin de financement. Et au préalable, nous avons eu à faire des études sur les évènements à évolution lente afin de circonscrire la problématique des pertes er dommages. C’est parce que toute pertes et dommages n’est pas lié au changement climatique. Il y a des leçons apprises de ce processus qui nous renforcent dans le travail que nous sommes en train de faire et notamment sur comment socialiser la question de la transition énergétique, car nous sommes à la croisée des transitions.
« En tant qu’acteur, comment vous appréciez la participation du Sénégal à la COP28 ? »
C’est une participation que nous saluons sur différents aspects. D’abord, rappelons que le Sénégal a assuré la présidence du groupe des pays les moins avancés en la personne de madame Madeleine Diouf Sarr. Elle a su porter le niveau des négociations assez haut, durant cette COP28. Ce qui a été salué par ses paires. Il y a eu le président de la république et plusieurs ministres qui ont pris part à la conférence. Il y a eu des allocutions qui ont été saluées pour leur engagement. Nous, en tant qu’organisation de la société civile, étions présentes dans les négociations, mais aussi dans les rendez-vous du partage des connaissances. Nous avons présenté des résultats de recherche sur l’évaluation des besoins de financement sur les pertes et dommages. Et bientôt, le Sénégal va s’inscrire dans une dynamique de développement de la stratégie à long terme de développement sobre en carbone et résilient. Elle pourrait s’appuyer sur quatre piliers fondamentaux : la transition énergétique, infrastructurelle, industrielle et agroécologique.
Source : #africa petromine magazine